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RFC 8126: Guidelines for Writing an IANA Considerations Section in RFCs

Date de publication du RFC : Juin 2017
Auteur(s) du RFC : M. Cotton (ICANN), B. Leiba (Huawei Technologies), T. Narten (IBM Corporation)
Première rédaction de cet article le 21 juin 2017


Un aspect peu connu du travail de normalisation est la nécessité de tenir des registres de certains paramètres, lorsque la liste de ces derniers n'est pas fixée dans un RFC. Par exemple, les algorithmes publiés dans le DNS pour IPsec ne sont pas définis de manière limitative dans le RFC 4025 mais sont enregistrés dans un registre public. Même chose pour les types de média du RFC 6838, qui ont leur propre registre. Pour les RFC, ces registres sont tenus par l'IANA. Celle-ci ne décide pas quels registres elle doit tenir ni à quelle condition un nouveau paramètre peut y rentrer, elle applique les décisions contenues dans la section IANA Considerations d'un RFC. C'est cette section qui est décrite ici. Ce RFC remplace l'ancien RFC 5226.

Prenons l'exemple du RFC 3315 (DHCP). Sa section 24 contient le texte « This document defines several new name spaces associated with DHCPv6 and DHCPv6 options: Message types, Status codes, DUID and Option codes. IANA has established a registry of values for each of these name spaces, which are described in the remainder of this section. These name spaces will be managed by the IANA and all will be managed separately from the name spaces defined for DHCPv4. ». En application de ce texte, l'IANA a créé le registre DHCPv6 and DHCPv6 options qu'on peut consulter en ligne à https://www.iana.org/assignments/dhcpv6-parameters. Et comment ajoute-t-on des entrées dans ce registre ? En suivant les règles données dans ce même RFC : «  New DHCP option codes are tentatively assigned after the specification for the associated option, published as an Internet Draft, has received expert review by a designated expert [11]. The final assignment of DHCP option codes is through Standards Action, as defined in RFC 2434.  ».

L'intérêt d'avoir une section obligatoire IANA Considerations est de concentrer en un seul endroit les informations nécessaires à l'IANA pour faire son travail. Pour aider les auteurs de RFC à écrire correctement cette section IANA Considerations, notre RFC 8126, qui succède au RFC 5226, pose quelques règles.

La section 1 du RFC décrit le problème général de la gestion d'un espace de nommage (namespace). Tous ces espaces n'ont pas les mêmes caractéristiques. Certains sont très petits (le champ protocole, qui n'a que huit bits soit 256 valeurs possibles, cf. RFC 5237) et doivent donc être gérés avec prudence, certains sont hiérarchiques comme le DNS ou comme les OID et peuvent donc être délégués, certains sont immenses, et peuvent être gérés avec moins de précautions (mais nécessitent quand même des règles, comme expliqué dans la section 1).

Cette même section 1 résume les points essentiels que doit connaitre l'auteur d'un RFC, notamment d'avoir une section dédiée IANA Considerations, et de n'y mettre que ce qui est strictement nécessaire à l'IANA (pas de digressions, pas de détails techniques).

La section 2 est consacrée à la création d'un nouveau registre. Il y a bien des décisions à prendre à ce stade. Par exemple, notre RFC recommande de voir si on ne peut pas faire un registre arborescent, où l'action de l'IANA se limiterait à la racine de ce registre, diminuant ainsi sa charge de travail. (C'est le cas des URN du RFC 8141.)

Si un RFC doit demander une telle création, il doit préciser quelle politique d'enregistrement devra suivre l'IANA. C'est une des parties les plus intéressantes du RFC, notamment sa section 4 qui explique les politiques possibles :

  • Premier Arrivé, Premier Servi (« First Come First Served »), où toute requête est acceptable et est faite dans l'ordre d'arrivée. Les entrées dans le préfixe OID iso.org.dod.internet.private.enterprise sont un bon exemple (https://www.iana.org/assignments/enterprise-numbers mais attention, le registre est lourd à charger). C'est aussi le cas des plans d'URI provisoires (RFC 7595) ou des états de traitement du courrier (RFC 6729). C'est sans doute la plus « libérale » des politiques d'enregistrement. (Il n'y a pas de mécanisme explicite contre les vilains qui enregistreraient plein de valeurs inutiles, avait noté l'examen de sécurité.)
  • Examen par un expert (« Expert review »), comme détaillé plus bas (section 5 du RFC). C'est ainsi que sont gérés les plans des URI permanents du RFC 7595, ou bien les types de méthode d'EAP (RFC 3748, sections 6 et 7.2, notez que Expert review était appelé Designated expert à cette époque).
  • Spécification nécessaire (« Specification required ») où un texte écrit et stable décrivant le paramètre souhaité est nécessaire (ce texte n'est pas forcément un RFC, il y a d'ailleurs une politique « RFC required »). Il faut en outre un examen par un expert, comme dans la politique ci-dessus, l'expert vérifiant que la spécification est claire. Les profils de ROHC (RFC 5795) sont enregistrées sous cette condition. Les utilisations de certificat de DANE (RFC 6698, section 7.2) sont « RFC nécessaire ».
  • Examen par l'IETF (« IETF Review »), l'une des plus « lourdes », puisqu'il faut un RFC « officiel », qui soit passé par l'IESG ou par un groupe de travail IETF (tous les RFC ne sont pas dans ce cas, certains sont des contributions individuelles). C'est la politique des extensions TLS du RFC 6066 (cf. RFC 5246, section 12, qui utilisait encore l'ancien terme de « IETF Consensus »).
  • Action de normalisation (« Standards Action »), encore plus difficile, le RFC doit être sur le chemin des normes et donc avoir été approuvé par l'IESG. C'est le cas par exemple des types de message BGP (RFC 4271, section 4.1), en raison de la faible taille de l'espace en question (un seul octet, donc un nombre de valeurs limité) et sans doute aussi en raison de l'extrême criticité de BGP. C'est aussi la politique pour les options DHCP données en exemple plus haut.
  • Utilisation privée (« Private use ») est une politique possible, qui est en fait l'absence de registre, et donc l'absence de politique de registre : chacun utilise les valeurs qu'il veut. Par exemple, dans le protocole TLS (RFC 5246, section 12), les valeurs 224 à 255 des identifiants numériques du type de certificat sont à usage privé ; chacun s'en sert comme il veut, sans coordination.
  • Utilisation à des fins expérimentales (« Experimental use »), est en pratique la même chose que l'utilisation privée. La seule différence est le but (tester temporairement une idée, cf. RFC 3692). C'est le cas des valeurs des en-têtes IP du RFC 4727.
  • Et il existe encore l'approbation par l'IESG (« IESG approval ») qui est la politique de dernier recours, à utiliser en cas de cafouillage du processus.
  • Et le cas un peu particulier de l'allocation hiérarchique (« Hierarchical allocation ») où l'IANA ne gère que le registre de plus haut niveau, selon une des politiques ci-dessus, déléguant les niveaux inférieurs à d'autres registres. C'est le cas par exemple des adresses IP ou bien sûr des noms de domaine.

Le choix d'une politique n'est pas évident : elle ne doit pas être trop stricte (ce qui ferait souffrir les auteurs de protocoles, confrontés à une bureaucratie pénible) mais pas non plus trop laxiste (ce qui risquerait de remplir les registres de valeurs inutiles, les rendant difficilement utilisables). En tout cas, c'est une des décisions importantes qu'il faut prendre lors de l'écriture d'une spécification.

Notre RFC conseille (sans l'imposer) d'utiliser une de ces politiques (« well-known policies »). Elles ont été testés en pratique et fonctionnent, concevoir une nouvelle politique fait courir le risque qu'elle soit incohérente ou insuffisamment spécifiée, et, de toute façon, déroutera les lecteurs et l'IANA, qui devront apprendre une nouvelle règle.

Parmi les autres points que doit spécifier le RFC qui crée un nouveau registre, le format de celui-ci (section 2.2 ; la plupart des registres sont maintenus en XML, mais même dans ce cas, des détails de syntaxe, comme les valeurs acceptables, peuvent devoir être précisés). Notez que le format n'est pas forcément automatiquement vérifié par l'IANA. Notre RFC recommande également de bien préciser si le registre accepte des caractères non-ASCII (cf. RFC 8264, section 10).

Autre choix à faire dans un registre, le pouvoir de changer les règles (change control). Pour des normes IETF (RFC sur le chemin des normes), c'est en général l'IETF qui a ce pouvoir, mais des registres IANA peuvent être créés pour des protocoles qui ne sont pas gérés par l'IETF et, dans ce cas, le pouvoir peut appartenir à une autre organisation. C'est ainsi que les types de données XML (RFC 7303), comme le application/calendar+xml (RFC 6321) sont contrôlés par le W3C.

La section 3 couvre l'enregistrement de nouveaux paramètres dans un registre existant. C'est elle qui précise, entre autres, que l'IANA ne laisse normalement pas le choix de la valeur du paramètre au demandeur (mais, en pratique, l'IANA est sympa et a accepté beaucoup de demandes humoristiques comme le port TCP n° 1984 pour le logiciel Big Brother...)

La section 6 donne des noms aux différents états d'enregistrement d'une valeur. Le registre note l'état de chaque valeur, parmi ces choix :

  • Réservé à une utilisation privée,
  • Réservé à une utilisation expérimentale,
  • Non affecté (et donc libre),
  • Réservé (non alloué mais non libre, par exemple parce que la norme a préféré le garder pour de futures extensions),
  • Affecté,
  • Utilisation connue, mais non officiellement affecté, ce qui se produit parfois quand un malotru s'approprie des valeurs sans passer par les procédures normales, comme dans le cas du RFC 8093.

Par exemple, si on prend les types de messages BGP, on voit dans le registre que 0 est réservé, les valeurs à partir de 6 sont libres, les autres sont affectées (1 = OPEN, etc).

La section 5 décrit le rôle des experts sur lesquels doit parfois s'appuyer l'IANA. Certains registres nécessitent en effet un choix technique avec l'enregistrement d'un nouveau paramètre et l'IANA n'a pas forcément les compétences nécessaires pour cette évaluation. Elle délègue alors cette tâche à un expert (designated expert, leur nom est noté à côté de celui du registre). Par exemple, pour le registre des langues, défini par le RFC 5646, l'expert actuel est Michael Everson. Ce registre utilise également une autre possibilité décrite dans cette section, une liste de discussion qui sert à un examen collectif des requêtes (pour le registre des langues, cette liste est ietf-languages@iana.org). La section 5.1 discute des autres choix qui auraient pu être faits (par exemple un examen par le groupe de travail qui a créé le RFC, ce qui n'est pas possible, les groupes de travail IETF ayant une durée de vie limitée). Elle explique ensuite les devoirs de l'expert (comme la nécessité de répondre relativement rapidement, section 5.3, chose qui est loin d'être toujours faite).

Enfin, diverses questions sont traitées dans la section 9, comme la récupération de valeurs qui avaient été affectées mais qui ne le sont plus (le RFC 3942 l'avait fait mais c'est évidemment impossible dès que les paramètres en question ont une... valeur, ce qui est le cas entre autres des adresses IP).

Bien que la plupart des allocations effectuées par l'IANA ne sont guère polémiques (à l'exception des noms de domaine et des adresses IP, qui sont des sujets très chauds), notre RFC 8126 prévoit une procédure d'appel, décrite en section 10. Cela n'a pas suffit à régler quelques cas pénibles comme l'enregistrement de CARP.

Ce RFC 8126 remplace le RFC 5226. Les principaux changements sont détaillés dans la section 14.1 :

  • Moins de texte normatif style RFC 2119, puisqu'il ne s'agit pas de la description d'un protocole,
  • Meilleure description des registres hiérarchiques,
  • Ajout d'une partie sur le pouvoir de changer les règles (change control),
  • Ajout de la possibilité de fermer un registre,
  • Ajout de la section 8 sur le cas de RFC qui remplacent un RFC existant,
  • Etc.

Notez que notre RFC est également complété en ligne par des informations plus récentes.

Les relations entre l'IETF et l'IANA sont fixées par le MOU contenu dans le RFC 2860. À noter que tout n'est pas couvert dans ce RFC, notamment des limites aux demandes de l'IETF. Que se passerait-il par exemple si l'IETF demandait à l'IANA, qui ne facture pas ses prestations, de créer un registre de milliards d'entrées, très dynamique et donc très coûteux à maintenir ? Pour l'instant, l'IANA ne peut pas, en théorie, le refuser et la question s'est parfois posée à l'IETF de savoir si tel ou tel registre n'était pas trop demander.

Puisque l'IANA est un acteur important de l'Internet, rappelons aussi que, bien que la fonction de l'IANA soit actuellement assurée par l'ICANN, la tâche de gestion des protocoles et des registres n'a rien à voir avec les activités, essentiellement politiciennes, de l'ICANN. La « fonction IANA » (création et gestion de ces registres) est formellement nommée IFO (IANA Functions Operator) ou IPPSO (IANA Protocol Parameter Services Operator) mais tout le monde dit simplement « IANA ».


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